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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Dossier de la redaction

Suppression annoncée de Dakar : Régression à "Ville" prix ?

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Suppression annoncée de Dakar : Régression à "Ville" prix ?
La question relative à la suppression des villes a été soulevée dimanche dernier par le ministre des Collectivités territoriales. Une idée qui a suscité un tollé surtout dans le monde politique. Nombre de personnes pensent que cela relève d'une décision politique, une volonté de diminuer la force de l'opposition dans les villes comme Dakar. Il faut rappeler que depuis son accession à la magistrature suprême, le parti au pouvoir peine à gagner des élections dans ces villes. Et cette idée de suppression des villes sonne comme une énième tentative de passage en force selon l'opposition.

"Forfaiture", "constat d'échec", "Danger", "harmonisation", les mots de la classe politique notamment de l'opposition. Mais au-delà des motivations politiques voire politiciennes prêtées au pouvoir, Seneweb pose le débat et donne la parole à des acteurs politiques mais aussi à un spécialiste de la décentralisation. Abdou Mbow de l'Apr, Abba Mbaye membre Taxawou Sénégal, Alphonse Mendy, responsable du parti AJ /PADS et Maimouna Dièye de Pastef et l'aménagiste du territoire Abdoulaye Sow décortiquent pour Seneweb les enjeux de cette réforme en vue et ses implications réelles ou supposées.

À l'origine de la création des villes

L'urbanisation des territoires est un phénomène normal voire une voie vers le développement d'un pays. Au Sénégal, Saint-Louis a été la première ville à voir le jour. Un patrimoine qui est aujourd'hui classé. S'en est suivi la création de la Ville de Dakar favorisée par la mise en place d'une ligne ferroviaire entre les deux villes en 1885. Cette infrastructure a aussi permis le développement des localités comme Louga, Kébémer, Tivaouane entre autres. Avec l'introduction et le développement de l'arachide, le tissu urbain a connu une ascension. Ascension qui se densifie depuis les années 60.

Dans son dispositif d'aménagement, le Sénégal a connu des évolutions notables. La dernière modification a été entérinée avec l'Acte 3 de la décentralisation. Suite à sa mise en œuvre, la région en tant que collectivité locale a été supprimée. S'agissant de la ville, l'article 167 du code des Collectivités territoriales la décrit comme un ensemble de communes qui "présentent une homogénéité". Une identité qui, pour Abdoulaye Sow, aménagiste et conseiller départemental à Thiès, pose problème du fait d'un déficit de clarté. D'abord sur le nombre de communes : "aucune limite n'a été donnée" regrette l'aménagiste. "Dans les faits, si on regarde l'état des villes comme Dakar, Guédiawaye ou autre, on a des Villes qui sont composées du même nombre de communes que celles qui composent le territoire départemental alors que pour d'autres, le nombre de commune dans le département est supérieur au nombre de communes dans la Ville".

Selon l'article 167 toujours, "La ville a le statut de commune". Ce qui veut dire en clair, que plusieurs communes se regroupent pour former une commune. Une incongruité ? Par la suite, le maire de la Ville est élu conformément aux dispositions du code électoral par les représentants des communes qui la composent.

Acte III de la décentralisation, un  "Constat d'échec" selon AJ

L'opposition, elle, ne voit pas du tout la pertinence d'une telle réforme. Pour Alphonse Mendy, responsable du parti AJ /PADS, le premier constat qu'on peut faire justement à propos de cette réforme en vue, "c'est un constat d'échec" de la réflexion sur l'acte III. Mendy estime que "si au bout de 6 ans on revient sur une réforme, c'est parce qu'elle n'a pas été suffisamment pensée, elle n'a pas été suffisamment mûrie". Or, l'organisation d'un pays doit évoluer en fonction des objectifs de politique publique qu'on se fixe, dit-il. "Moi je ne suis pas de ceux-là qui pense que l'immobilisme est payant. L'immobilisme est contre-productif", renchérit-il. Il faut, selon lui, réformer la décentralisation. "L'idée n'est pas mauvaise, nous avons des impératifs de développement qui font que si des leviers sont identifiés pour insuffler le développement, il ne faut pas cracher dessus. A partir de ce moment, le fétichisme juridique qui consiste à ne pas vouloir se débarrasser de certains acquis n'est pas de bon aloi", insiste-t-il.

Le gouvernement, initiateur de ce projet de réforme, aurait pu, dès le départ, prendre langue avec les acteurs majeurs de la décentralisation pour que cette réforme ne soit pas le fruit d'une échappée solitaire. Si c'était le cas, c'est normal que certains acteurs politiques puissent nourrir des suspicions, explique-t-il. Mendy d'ajouter : "Tant qu'au Sénégal les débats sont posés sous l'angle de la personnalisation, on ne s'en sortira jamais. Ce débat dépasse la personne de tel ou tel, le Sénégal est au-dessus de tout le monde. Et à partir de ce moment, dire qu'on veut initier une réforme pour éliminer telle ou telle personne, c'est insensé… Je ne crois pas que pour éliminer quelqu'un on fait des réformes", déclare le folliste.

Un constat a été fait qu'il n'y a pas d'harmonie entre les différents zones de collectivités locales, donc il n'y a pas de lisibilité sur l'échelle de la gouvernance locale pour le simple fait que quand vous venez à Dakar, il y a 19 communes et une Ville, à Rufisque il y a la commune de Rufisque et le département de Rufisque, idem pour Saint-Louis. Ce qui fait qu'il y a un brouillage de l'échelle de gouvernance locale. A partir de ce moment, on peut bien comprendre que le gouvernement soit dans une logique d'harmoniser, explique-t-il.

"Cette réforme ne  doit pas être une échappée solitaire"

Le juriste et ancien conseiller municipal à Grand-Yoff propose donc l'engagement d'une réflexion qui impliquerait tous les acteurs de la décentralisation. "Je crois qu'on pourrait arriver à un consensus où tout le monde trouverait satisfaction. La ville de Dakar existe depuis 1889 avec toute la charge symbolique qui lui est attachée, est ce qu'il est utile de la supprimer ? C'est des réflexions pareilles qu'il faut poser. Rien qu'en faisant une évaluation socio-économique, on peut en arriver à la conclusion qu'il n'est pas opportun de supprimer certaines villes".

À partir de ce moment, la réflexion devrait être posée non seulement sous l'angle de la personnalisation mais plutôt sous l'angle d'une évaluation socio-économique de ce que l'on pourrait perdre en supprimant telle ou telle ville. Mais cela ne peut être le fruit que d'une réflexion selon lui. "Le gouvernement ne devrait pas s'entêter à porter cette réforme toute seule parce que les villes sont une émanation de la loi, laquelle loi est aussi le fait de tous les Sénégalais. Les villes, les communes sont les patrimoines des sénégalais. Cette réforme doit être le fruit d'un large débat qui impliquerait tous les acteurs de la décentralisation", recadre Alphonse Mendy, membre du secrétariat exécutif de AJ/PADS.

Quid des compétences des Villes ?

Urge-t-il de revoir quelles sont les compétences de la Ville. Celles-ci sont décrites dans les articles 169 et 170 du code des collectivités territoriales. Il y a les compétences reçues et les celles transférées. Parmi les compétences reçues figure le plan général d'occupation des sols, les projets d'aménagement, de lotissement, d'équipement des périmètres affectés à l'habitation, l'extension du réseau d'éclairage public.

On peut noter dans les compétences reçues la gestion des déchets et la lutte contre l'insalubrité, la gestion et l'entretien des hôpitaux de niveau 1.

Les villes aident aussi les communes dans l'exécution de travaux liés aux infrastructures par exemple. Sur ce point, "il est plus facile pour la commune qui a besoin d'un lycée par exemple et qui n'en a pas les moyens de se faire aider par la Ville à travers les autres communes qui ont un budget beaucoup plus élevé", explique l'aménagiste Abdoulaye Sow, qui y voit un moyen de renforcer la capacité des communes.

Assane BA, PDS : "le Gouvernement est en train de préparer une Forfaiture contre les citoyens sénégalais, contre les citoyens des villes"

Pour l'heure, son parti n'a pas encore statué sur la question, mais Assane Ba exulte déjà en voulant donner son point de vue en tant qu'élu local, responsable du Parti démocratique sénégalais. Interrogé sur le projet de suppression des villes annoncé par le ministre des Collectivités territoriales Oumar Guèye, il est d'avis que le gouvernement est toujours dans sa logique et sa tactique d'élimination de ses potentiels adversaires.

"Le gouvernement est en train de comprendre qu'il va de perdre les prochaines élections locales et il a fait des enquêtes par le canal de ses services et ils se sont rendu compte qu'ils vont encore perdre la capitale et ce serait une défaite extrêmement cuisante à l'orée des législatives et de la présidentielle de 2024, puisque l'opposition va se redéployer sur le terrain politique avec d'autres armes beaucoup plus ardues, beaucoup plus puissantes, beaucoup plus techniques et ils le savent. Ce, malgré ce qu'il pense de sa nouvelle majorité qui est du toc. C'est des gens qui sont partis manger à la mangeoire beige-marron mais malheureusement les bases ne les ont pas suivis, les bases sont restées intactes et ça, ça fait peur au pouvoir".

Le responsable Pds appelle les citoyens  sénégalais à se battre et à prendre leur destin en main pour maintenir le statut actuel de Dakar.

Maimouna Dieye, Pastef : "Ce genre de Projet représente un Danger"!

La formation politique d'Ousmane Sonko n'apprécie pas non plus le projet de suppression des villes annoncé par le ministre des Collectivités territoriales. Un projet qui, selon ce parti, vise à diminuer la présence de l'opposition au niveau des collectivités locales. Pour eux, une réflexion devrait précéder toute annonce d'une quelconque suppression de  ville. "On ne dit pas que tout marche mais même si ça n'est pas le cas, qu'on crée un débat, une réflexion, qu'on implique les acteurs, la  société civile, les populations mais pas prendre comme ça une décision qui a été motivée par une volonté manifeste de sanctionner ou de priver d'un droit des sénégalais qui sont tout simplement coupables de manifester leur intérêt de briguer la magistrature suprême. Au niveau de Guédiawaye par exemple, s'ils veulent que Guédiawaye  disparaisse, c'est effectivement parce qu'ils ont compris qu'ils ont été vomis par les populations et que les populations, pour les prochaines joutes électorales, en tout cas les municipalités, ne voteront pas pour eux", tente de convaincre Maimouna Dieye, présidente du mouvement national des femmes de Pastef.

La coordonnatrice de Pastef à la Patte d'oie accuse Macky Sall, en tout cas le gouvernement d'opérer par contournement de texte  dans différentes lois votées et d'utiliser certaines faiblesses pour dire qu'une ville doit être supprimée. Elle attire également l'attention sur les zones qui sont ciblées. "On ne touche pas à Saint Louis" fait-elle remarquer, avant de conclure que cette déclaration du ministre des Collectivités territoriales est un  ballon de sonde pour inviter les populations dans un projet purement politique.

Suppression des villes : "Un glissement institutionnel pour transformer le débat  selon lequel  Dakar devrait avoir un statut spécial" (Abba Mbaye, Taxawou Sénégal)

Le collaborateur de Khalifa Sall a balayé  d'entrée de jeu les déclarations du ministre des Collectivités territoriales qui a évoqué l'article 1 du code des Collectivités territoriales qui ne reconnaît que deux niveaux de collectivités : la commune et le département, "pour dire que Dakar n'a pas raison d'être".

"Ce qu'il dit est archi faux ! La ville est reconnue par le même code aux articles 167 et pour le cas de Dakar, pour renforcer la position du code, on nous dit que si le périmètre de la ville épouse celui du département, la ville reprend les compétences du département".

Pour le membre du pool communication de Taxawu Sénégal, le ministre veut opérer un glissement institutionnel. "Cette suppression annoncée  des villes est  une manière pour eux de transformer le débat qui avait commencé par dire que Dakar devait avoir un statut spécial, le maire de Dakar devait être élu par décret et aujourd'hui ériger Dakar en département, c'est enlever à Dakar sa fiscalité. Et Dakar sans ses ressources, ce n'est plus Dakar et c'est ça l'objectif qui est voulu", se désole Abba Mbaye.

Il y voit un recul au plan institutionnel et invite les Dakarois et les Sénégalais à s'approprier le combat. Il s'agit, déplore-t-il, d'une nébuleuse des tours de passe-passe qu'est en train d'opérer le camp présidentiel. "Rendez-vous compte de ce qu'on est en train de nous faire faire, parce que c'est un quinquennat, c'est court, c'est dynamique, on est en train d'oublier un cycle politique qui part des législatives vers des locales mais qui n'est pas le prolongement de 2019 mais qui est l'antichambre de 2024 . On a l'impression que 2019-2024 est un cycle mort, une parenthèse qui n'existe pas. Il y a une chose qui compte, c'est 2024 alors qu'entre-temps, on a les besoins des populations, les Sénégalais souffrent dans leur chair, on a l'impression de l'oublier, les Sénégalais souffrent dans leur quotidien". conclut-il.

Abdou Mbow, député et responsable APR : "il faudrait que les gens dépassionnent les débats"

"La décentralisation, elle, est évolutive. La décentralisation et la déconcentration font partie de la gouvernance des collectivités", lance d'emblée Abdou Mbow en appelant à l'arrêt de la politisation des réformes. "Dakar était à l'époque Commune de Dakar, Communauté Urbaine de Dakar, il a eu un Président du Conseil, aujourd'hui c'est une Ville, demain il peut s'appeler Département ou autre chose. Il faudrait que les gens dépassionnent un peu le débat. La gouvernance territoriale, elle, est évolutive et qu'on arrête de vouloir politiser toutes les réformes qu'on envisage de faire et savoir que le président de la République Macky Sall, ce qui l'intéresse, c'est la bonne gestion des collectivités et tout ce qui peut aller dans le sens d'alléger les souffrances des Sénégalais. Aujourd'hui, au sein de l'Alliance pour la république, c'est comme ça que nous pensons. Nous ne sommes pas dans des calculs politiques".

Le vice-président à l'Assemblée nationale est d'avis que "La majorité n'est pas dans des calculs politiciens ou dans des combats politiques qui sont derrière eux parce que le président Macky Sall a été réélu, celui qui a été réélu au premier tour ne peut pas aujourd'hui prendre son dévolu et le mettre sur une ville ou une commune".

Oui à une réforme non à une suppression !

Le statut des villes pose certes problème dans son élaboration. Conviction d'Abdoulaye Sow, selon qui, 'heure est à la réforme des textes afin de les adapter. "La réforme c'est à la fois limiter le nombre de communes et cela permettra de nous retrouver dans une situation inédite ; on ne peut pas à la fois être département et Ville", argue-t-il.

Sur le plan politique, la suppression des villes, selon toujours M. Sow, irait à l'encontre même du plan de développement du Président Macky Sall. "Nous allons vers un Sénégal émergent dont la priorité est de mettre en place des agglomérations", rappelle le conseiller départemental à Thiès.

Selon ce dernier, la politique infrastructurelle du Sénégal participe même à la création de ville et de manière déconcentrée. Ce qui est une nécessité pour le développement d'un pays.


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